books vs. the rest of the world
février 17, 2011
Je résume. Il y a un gars qui prétend qu’un livre vaut mieux qu’une liseuse, tablette numérique, ipad, du fait de sa solidité. En gros, le bouquin, ça ne se casse pas si on le fout par terre. Non mais là, faut quand même y aller mollo. Le bien serait l’invulnérable, le juste l’invincible et Dieu, c’est Goldorak, tant qu’on y est ? Pas de ça, Lisette. Vous comprenez, ces histoires d’objets qu’on casse, ça ne me laisse pas de marbre, faut pas déconner, depuis toujours qu’on se brise tous les os du corps et la gueule par dessus le marché, dans la foulée, pourquoi se priver, et qu’on finit à l’hosto, pas une fois, mais plusieurs fois par mois, alors qu’on ne vienne pas me la faire, côté expert ès explosions et destructions en tous genres, il est mal tombé, le mec, là, on ne va pas laisser passer. Quand le bonhomme nous raconte qu’un bouquin, il pourrait le jeter par la fenêtre de son cagibi du huitième ou millième étage et que le dit bouquin, il se poserait comme une fleur, dans l’herbe, nickel chrome, sans même merder l’étiquette, tandis qu’un ipad ou je ne sais quelle informachine, eh ben, ça se morflerait sérieux la choucroute sur le bitume, paf, en microns de silice électroneurons de puzzle écrabouillé. Alors voici, dit le mec pas peu fier, la preuve faite de la supériorité du livre sur la machine à bouquiner, point barre amen pater dixit !
Moi, je vois bien la réponse qu’on lui fait à ce zig, on ne veut pas lui en mettre plein la gueule d’entrée, on le ménage, même si, faut pas rigoler, on aimerait lui démonter la tronche, bon, on lui dit déconne pas avec tes trucs de toucher la pâte à papier et de balancer tes livres par la fenêtre, non mais t’es complètement cinoque, ou quoi ? ou bien ? non mais, t’es branlé, machin ! On lui répond qu’on peut bien passer nos ordis à la masse d’ouvrecul, de pistonneur à béton et de broyeuse casse-auto, ouaip, la machine on la démonte sans problème et on la piétine pour la galerie un soir de cocktail si ça peut lui faire plaisir, qu’est-ce qu’on en a à foutre de la machine, on la bousille comme il peut pas imaginer, qu’est-ce que ça change, en quoi ça porte atteinte, comme disent les humanitaires, en quoi ça porte atteinte au texte, hein, dis-nous, pour voir, toi qui es si malin, machin ?… Le texte, on n’a qu’à se connecter ailleurs, avec une autre machine, il va quand même pas pouvoir les détruire toutes, hein, machin, tu penses quand même pas nous vendre le diktat de la destruction de masse des interfaces numériques du monde intérieur et des territoires extérieurs, dis, pas ça, quand même, alors on se reconnecte sans problème, tu piges, pour le retrouver, le texte, frais du bec et les aisselles parfumées, pour le retrouver disponible qui attend, là, sagement sur la toile, intact, s’embellissant de jour en jour, dans sa matière de photons, mieux que ton bouquin papier qui a fait cerf-volant en bas de ton immeuble 11 septembre du pauvre…
Mais le mec se rebiffe, évidemment. On le prend pour un con, il dit faut pas me chercher gamin, tu déconnes pas avec moi, ils nous prend tous ensemble et un par un dans le tutoiement, toi, toi et toi, il nous lance la haine du commandeur grand-tétra : je t’en caracole des droites et des gauches, je te les colle et te les recolle en travers de la tronche toi et tes putains d’ordis qui vont foutre le monde et les dauphins et les bébés phoques, les foutre en l’air et le climat et le reste, salaud de martien technovore, consommateur, abruti de ta race, il est furax, putain, il ne mâche pas ses mots, le zigue, et il continue à fond les ballons… toi, toi et toi, tu m’en diras des nouvelles avec la tronche au carré derrière ton écran, ta liseuse de machine, machin ! Il cause de blast magnétique, les Popofs, ils nous bricolent le truc maousse, t’es naïf ou quoi, tu te crois encore section flower-power, on nous réserve la cata des grands soirs, mec, tu vas déguster, toi et tes copains, vous allez la sentir passer comme les zigs des tranchées qui se faisaient assaisonner les oreilles à coup de haut-parleur Grosse-Bertha germanica, ça va éclater d’un coup, BLAST ! Maintenant, les Kremlin-mafia sur leur place Rouge Krasnaïa plochtchad à serrer les boulons, les flingueurs-camarades, ils vont pas se gêner de balancer la sauce, l’onde magnétique qui effacera tous les fichiers informatiques d’un coup, vlan, zoum, gringo de grignoto de gigolo, c’est qui, qui fait encore le mariole ? hein, avec ton bel ordi tout blanc dedans-dehors, la pomme et le trognon, plus rien en ligne, plus rien, peau de nib et de couille à zébu albinos.
Il a marqué un point le salaud… On lui dit ok, t’es fort, rien à dire, on l’a dans l’os, patron. Il a convoqué Raspoutine, là, on s’incline, la magie des morts et la Vodka, faut pas rigoler, c’est puissant, on rigole plus, là, ok, tu nous l’as mis profond.
N’empêche qu’en attendant, on n’en pense pas moins.
la combine à Huggy
décembre 13, 2010
quand je t’entends, je suis épaté et je me demande où, en moi, cet élan?… où est-ce qu’il s’enracine ?… je ne trouve pas ça en moi, cette lancée du corps sonore, je comprends maintenant pourquoi je suis fasciné, enfin, non, je ne comprends pas, je le vis
il y a que certains peut-être entendent les phrases comme les saints, ceux qu’on dit les fous, les voyants, ceux-là qui voient, ou qui entendent, qui sont habités, ceux-là, ils peuvent y arriver, je les vois, je te vois te lancer, te déployer éventail sonore de chair, éventail de chair et de voix, baleiné de langue
je crois que certains entendent des voix
moi non
je n’entends rien
c’est pour ça que je ne peux me lancer comme ça, je me lance autrement, je me laisse prendre par ce qui vient, en général ça ne casse pas trois pattes à un chien mais je fais avec
mes phrases je ne les entends pas, dans ma tête elle ne font aucun bruit
elles frappent à mort mais pas un son, je les vois, d’accord, je les copie, elles forment des bouts qui ne veulent pas parler car parler c’est se fondre, mes phrases ne veulent pas se fondre, elles sont ces pauvres types prisonniers de leurs appartements, tu vois cet immeuble qui brûle, eh bien, cet immeuble en flammes, c’est le corps, mettons qu’on fasse cette analogie pour ce coup-ci, on oserait en faire une, une image qui vaut ce qu’elle vaut, chacun peut visualiser un immeuble qui brûle avec des gens à l’intérieur qui pètent les fenêtres en balançant une chaise, mettons qu’il s’agisse de ces vieux immeubles en briques avec des échelles, tu vois, comme dans Mannix, ou Kojac, ou Serpico, bon, il y a un paumé qui a foutu le feu à sa piaule en dormant, à cause de sa clope ou d’une bougie, ce que tu voudras de con, et le machin se met à flamber, le matelas en toile rayé taulard lui crame la couenne à ce camé, mais les autres, il y en a des dizaines, des michetons paniqués et tout le barda de putes et de musicos à la noix, on les voit bien qui se tordent au bord de la fenêtre. C’est ça que j’ai en tête. Mes phrases, elles sont comme ces zigotos, elles veulent sauver leur peau, tu vois, elle veulent se faire la malle. On les comprend. Le corps, c’est pas terroche comme véhicule, Horloge, dieu sinistre, effrayant, impassible comme dit le grand Charles, le corps flambe et il n’en finit pas de griller sur pied, chaque seconde le carbonise un peu plus, lui et sa cargaison de phrases qui veulent se sauver. C’est ça qui me vient. Les rats quittent le navire. C’est pour cette raison que mes phrases ne veulent pas être dites, mais écrites, gravées dans l’acier de Carrare de blindé, pas soufflées sur la scène et crever sitôt dites, comme le gars qui se défenestre, mais se laisser écrire au contraire, silencieuses de marbre taillé, de caillou Lascaux pour des millions d’années. Chaque phrase qui me quitte veut son ambulance, surtout pas le pur-sang du poète, un éclair dans la nuit… et adieu Berthe! Moi, la scène, ça me fiche la trouille noire et d’abord le cafard: je les imagine, mes phrases silencieuses, crispées aux dents qui se déchaussent, résistant de toutes leurs forces à la voix qui veut les déloger en plein hiver, comme au Canada où les immeubles brûlent sous la lance gelée des pompiers, je crois que c’est de ça qu’il s’agit
mes phrases je ne veux surtout pas les entendre, écrire seulement et les lire en silence pour l’éternité
ton frangin le désossé aux bons tuyaux
ma pauvre Lizzie…
novembre 26, 2010
Tu es à côté de la plaque… il faut briser le moule, quitter le nid… il faut partir comme Ulysse et revenir dans la peau d’un autre, fidèle à soi-même mais transformé au point de n’être plus reconnu que par son chien… ce retour n’est retour que dans les mots… c’est l’heure de vérité… il n’est plus question de tricher, de se faire plus beau que nature… l’idée même de beauté est devenue nocive car contraire à l’exigence de se montrer tel qu’on est…
… la beauté n’est pas à réinventer. Elle se trouve derrière nous, grande fosse à combler. Je ne sais pas pourquoi l’homme penche du côté de la facilité. Il est facile de plaire. Il est facile de donner le frisson. Il suffit de poursuivre l’inaccessible… Un écrivain célèbre a offert son prix littéraire aux chiens de la ville. J’attends celui qui leur offrira son œuvre. Une œuvre que les chiens mordront comme de la viande. Ce n’en sera pas, comme ces chiens ne seront pas des chiens. Peu importe, puisqu’il faut un mystère. Mais l’épreuve aura pris fin… Les regardant alors se battre sous le préau, mêlé à leur meute sans témoin.
voyait encore
novembre 9, 2010
Ce que j’inventais disparaissait dans ce qui était donné. On en voyait encore les restes, bien sûr. Mais on se rendait surtout compte du mouvement qui détruisait la fiction. Non seulement ça. On comprenait aussi comment chacune de ces histoires s’asséchait progressivement. Comment la singularité n’avait plus ni importance, ni saveur. J’ai cru que j’allais m’en sortir. J’étais tour à tour dans la peau d’un alpiniste, d’un funambule, ou de quiconque voyant son horizon réduit au souci de rester en vie. On ne parlait plus d’écriture mais d’équilibre. L’écriture perdait le pouvoir de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. Elle perdait tout pouvoir, y compris celui de décrire. Ce qu’elle distinguait encore perdait à son tour le pouvoir d’émerveiller. La vie qui se laissait malgré tout surprendre dans sa nudité émettait une sorte de plaine qui voulait dire « laissez-moi m’éteindre en paix. » Quoi que je dise, je serai bientôt incapable de surprendre qui que ce soit. Bon Dieu ! Je n’allais quand même pas m’accrocher aux détails. L’individu n’est heureux que noyé dans la masse. L’écriture n’est belle que privée d’éclat. Honnies soient les fêtes et maudits soient les héros !
entre tous, ceux-là
novembre 8, 2010
[…] Cette égalité n’est qu’apparente. Certaines choses valent plus que d’autres. Qu’en est-il des gens ? Suffit-il d’être pauvre ? Oui, il suffit d’être pauvre. Oui, il suffit d’être alcoolique, planté devant sa télévision. Oui, il suffit de fermer les yeux et d’embrasser sa main, de se faire des œufs brouillés qu’on mâchera avec la coquille parce que les doigts ne répondent plus. Oui, il suffit; médiocre parmi les médiocres, minable et paumé sous la sinistre voie lactée. Oui l’obscurité suffit à vous ouvrir ce genre de portes. L’obscurité, à défaut de tout gober d’une traite, pas les larmes ou la sueur, on ne croit pas à ces choses, mais la résignation qui s’installe envers et contre tout, l’absence de talent qui insulte celui qui ne possède rien, pas même l’audace de parler.