FRANÇOIS BON
« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »
Vases Communicants. Août 2014. On ne compte pas les années de compagnonnage avec François Bon. C’est aujourd’hui l’occasion de lui souhaiter, en retour, la bienvenue sur rahmyFiction | kafkatransports, avec joie et avec reconnaissance, alors qu’il m’accueille sur tierslivre.net. Internet est la plus belle conquête de l’homme, avec celle du cheval, autre grand animal tout-terrain, génie du labour et du galop. On est nombreuses et nombreux à avoir apprivoisé cet outil-vivant dans le sillage de François Bon.
conte de l’homme qui dort
J’ai mis longtemps à découvrir l’existence de l’homme qui dort. Encore plus longtemps à comprendre qu’on était nombreux à bénéficier d’un homme qui dort.
Il est difficile de savoir même si chacun ne dispose pas sans le savoir d’un homme qui dort. La terre est profonde, nombreuses sont leurs niches, loin sous nos pas. Il semble seulement que certains, pris par trop d’actions ou trop de confiance, n’aient pas porté intérêt à leur propre homme qui dort. Chacun rêve, mais certains ne portent pas assez d’attention à leurs rêves.
On apprend beaucoup de son homme qui dort. Cela suppose un minimum de retrait. Quelques semaines ou quelques mois. Quelques jours peuvent suffire, mais gare aux apparences: on n’a pas été vraiment aussi loin qu’on aurait dû.
Il n’est pas facile de se mettre en relation avec son homme qui dort. Lui il est dans son alvéole, loin sous la terre. Et toutes leurs alvéoles se touchent. C’est comprimé, là-dessous. Ils naissent et meurent, dessèchent et laissent leur place: celui qui naît avec vous c’est le vôtre. Ensuite c’est plus facile: vous-même êtes immobile (ou plutôt c’est ce sentiment d’une obligatoire réclusion qui compte: on l’établit avec lui, mais on peut l’emmener dans la vie courante, au milieu des autres, et dans les chemins clos et stériles de la ville), et dans cette immobilité se fait le dormir ensemble.
On ne rêve pas forcément ensemble. Dans cette immobilité où, pour quelques minutes, quelques heures mais aussi bien des jours, des mois, vous êtes livrés à lui, vous savez n’avoir plus de corps et plus de rêves. On désapprend à penser. Normal: c’est cela qui l’alimente, lui. Et eux, les stériles qui courent, sans savoir leur homme qui dort, il sait bien leur prendre son dû aussi, il n’y a qu’à voir leur tête, ou comment ils se repaissent de télévision et autres distractions.
On sait ce qu’il vous prend, et comment il le prend. Que vous donne-t-il? Pour moi c’est un réconfort, de savoir, tout là-dessous, dans son alvéole et serré contre ces myriades d’autres alvéoles, qu’à moi seul est consacré l’homme qui dort. Lorsque je rêve, lorsque je pense, je sens bien que s’établit ce vide, ce trou, cet abîme: de l’autre que moi pense ou rêve ou attend ici. Qu’on s’enracine dans cet autre, on sera plus fort dans les peines du jour. Ou juste plus indifférent.
On dit que parfois certains ont su quitter leurs alvéoles, qu’ils viennent pour un temps nous rejoindre dans les pistes du monde, les chemins de la ville. Qu’à leur qualité rêveuse, à leur façon d’être à part, quelqu’un d’exercé les reconnaît quand même. On dit qu’il est possible dans certains cas de continuer avec eux la relation du rêve, ce qui s’établit dans l’immobilité, la réclusion et le silence du dormir, alors même qu’un peu plus loin que vous ils arpentent eux aussi nos jours ternes: mais je n’ai pu le vérifier.
Je progresse dans l’écoute de mon homme qui dort. J’ai relu les livres qui en parlent: ils sont peu nombreux. Dans ces moments où le retrait vous prend vous-même, vous pouvez vous concentrer sur la cessation même – c’est lui, il est là. Je gagne sur moi-même: c’est de l’abandon qu’il est question.
On sait que lui, là-bas, dans son alvéole, un moment cessera. Ils ne tiennent que par nous-mêmes et nos rêves, qu’ils avalent. On se sent prêt – en fait on ne l’est jamais. C’est juste que c’est là-bas, en dessous, que ça se décidera.
Il faudra juste que l’abandon soit un peu plus total.
Ce texte représente une nouvelle étape dans le projet à long cours Fictions du corps.
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la liste des vases communicants du mois d’août 2014
Ana NBhttp://sauvageana.blogspot.fr et Eve de Laudechttp://www.evedelaudec.fr/cooperations/les-vases-communicants/
Cécile Benoisthttp://litteraturesauvage.wordpress.com et Franck Queyraud http://flaneriequotidienne.wordpress.com
François Bonhttp://www.tierslivre.net et Philippe Rahmy http://www.rahmyfiction.net
Camille PhilibertRossignol http://camillephi.blogspot.fr et Nathalie Ju http://nvariations.blogspot.fr
Marianne Desroziershttp://mariannedesroziers.blogspot.fr et Angèle Casanova http://gadinsetboutsdeficelles.net
Danielle Massonhttp://www.jetonslencre.blogspot.fr et Martine Cros http://allerauxessentiels.over-blog.com
ChristineSimonhttp://www.christinesimon.fr/ et Dominique Hasselmann http://hadominique75.wordpress.com
Nolwenn Euzenhttp://grandemenuiserie.fr et Eric Schulthess http://www.sonsdechaquejour.com
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FRANCK QUEYRAUD
« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »
Vases Communicants. Juin 2014. Particulièrement heureux d’accueillir ce mois-ci FRANCK QUEYRAUD avec « Tapages… ta tasse quotidienne… », sur kafkaTransports.com, et d’être accueilli, en parallèle avec passerelle, sur « FLÂNERIE QUOTIDIENNE« !
Tapages… ta tasse quotidienne…
Photographie Philippe Rahmy
On pourrait croire que non mais le silence, c’est la mort.
Le silence pour les vivants – les vivants sur la terre – cela n’existe pas. Où il y a de l’air, il n’y a pas de silence. Des respirations, d’abord. La vie, c’est le bruit. Des étouffements, parfois. C’est aussi la joie, la musique, la jubilation, ouiiiiii…. pas toujours, c’est vrai… Mais Ouïr, toujours… La vie : une danse et le bruit est affaire de degré et d’attention. Il y a sans cesse un murmure. Même lointain, même inaudible. Qui vient nous faire signe. Le silence n’existe pas. Tapages. Le silence n’est qu’une pause sur la partition de nos vies, bien placé, temporaire, jubilatoire ou avant-garde de tensions à venir. Si vous êtes attentif aux bruits autour de vous, il y a celui-ci, particulier, régulier, vital : ce bruit de pompe. Cette pompe qui vous maintient en vie.
Qui vous dit : vas-y, respire, on continue, vas-y mon gars, demain ça n’arrive jamais, profite, c’est maintenant que ça se passe, regarde autour de toi, le débit de la rivière, de l’Ill ou de l’Aar, vois les nuages au-dessus des rues de la ville, les vols des oiseaux ou plus près de toi, ceux des jupes des filles… sous les tilleuls verts de la promenade…En juin, en septembre, en janvier, regarde, souris, écoute, parle… à l’enfant en toi ou à celui qui est près de toi… Transmissions. Bouge-toi. Ne jamais se taire avant que l’éternité ne vienne définitivement d’ensevelir de son linceul silencieux…
Vous en êtes où vous ? Vous en êtes où vous avec vos bruits, vos prétendus silences, vos subtils ou terrifiants non-dits ? Vous en êtes où vous ? De votre corps, de ce véhicule potentiel de jubilation ? De ce corps, précieux… Il faut chasser impitoyablement les tristes thuriféraires du silence qui mélangent tout avec leurs morales morbides, leurs tortures corporelles ou leurs attraits vers une salutaire tout autant qu’imaginaire, austérité. Sourds volontaires, l’horreur. Respire… Continue ta danse baroque… La vie est baroque. L’a toujours été. Découvre.
La vie est belle, écrit par Stephen Jay Gould, raconte une nouvelle vision de la vie – vision post-darwinienne – à partir de l’étude d’un terrain de fouilles paléontologique, découvert en 1909, le schiste de Burgess. « Dans la théorie darwinienne, la compétition est le grand régulateur » La métaphore « sous la forme d’un tronc dans lequel seraient fichés sur tout la longueur dix mille coins, solidement enfoncés, représentant les espèces » doit être oubliée. Remplacée par celle de l’explosion foisonnante du cambrien qui a mis « en lumière le rôle de la contingence dans l’histoire de la vie – les aspects actuels du monde vivant ne sont pas le résultat d’une évolution lente fondée sur l’accumulation et le progrès, mais ont été mis en place par une profonde décimation (après une rapide diversification initiale des organisations anatomiques), probablement accomplie sur la base d’un fort principe de loterie. ». Le concept de progrès ou celui de compétition peuvent aller se rhabiller. La réalité, plus hasardeuse, est davantage passionnante ou inquiétante selon votre manière de vivre le moment présent.
Ne reste pas au fond de ta tasse quotidienne. Demeure ivre des bruits autour de toi ou pour le dire à-propos : sois chargé pour Soleure comme disent certains suisses. La vie est barrique. Cette tendance – cynique ? – à tout amalgamer aujourd’hui : bruits / vitesses / silences / lenteurs / ennuis. Tout se combine perpétuellement. Fais en sorte que cela soit au bénéfice de ta joie. Choisis. Dans cette jungle tonitruante, tout est histoire de degré, d’attention et de temps (bis). Une question demeure : comment entretenir son corps pour profiter de ce que la vie nous offre à chaque seconde ? Régimes acouphéniques ? Aïe, non… Gargantuase-toi de tout !
Comment devenir attentif à ces petits riens ? Sentir, ressentir, décrire ces petits riens du tout qui nous touche ? Les sons, les bruits de la ville, les odeurs du jasmin en fleurs, l’élégante courbure de la feuille du gingko biloba, les voix douces, graves ou éraillées… Il y a certain éraillement qui nous plait. Je déraille ? Etceteraille…
Comment se rendre compte à temps que nous pouvons participer à la qualité des bruits de la vie ? On pourrait croire que…
Allez, go ! Mon cœur fait boum… Ecris ta page quotidienne….
Silence
Photographie de Justine Neubach (Pour faire lien avec le second vase co du mois sur silencieuse.net)
Notule : entre guillemets et en italique, phrase extraite du livre de Stephen Jay Gould : La vie est belle, paru au Seuil en 1991. Indispensable lecture dérangeante.
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SAMUEL DIXNEUF
« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »
Vases Communicants. Janvier 2011. Je suis ce mois-ci heureux et flatté d’accueillir Samuel Dixneuf sur kafkaTransports, tandis que lui a la gentillesse de m’accueillir chez lui sur Lignées. On le suit « à l’ombre des blocs verticaux », dans cette tension de langue. Encore merci pour l’échange, Samuel.
Samuel Dixneuf par lui-même:
« Né il y a 33 ans à ce que l’on en dit. N’a pas été plombier, puis chauffeur de bus, puis VRP, puis garçon boucher avant de se mettre à noircir compulsivement des carnets qu’il jetait immédiatement ensuite. Ne partage pas son temps entre l’île d’Oléron et sa garçonnière de l’East Village. Ne souhaite pas publier avant 40 ans. Recherche le temps perdu et autres activités de fin de soirée. »
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L’horizon
Living in the sprawl
Dead shopping malls rise like mountains beyond mountains
And there’s no end in sight
I need the darkness, someone please cut the lights
Arcade Fire, Sprawl II (mountains beyond mountains)
Zones résidentielles à l’ouest de New York City
Je suis né dans l’ombre des blocs verticaux, ou dans l’humide de leur gangue de béton ou dans la pénombre de leurs dalles souterraines.
Je ne parviens plus à sortir avant la nuit.
Qui se précipite la nuit venue, aujourd’hui, dehors, ici ?
Alors les blocs verticaux se sont rabougris et ont rejoint l’horizon.
Je suis mon ombre sur l’asphalte translucide. Le halo des réverbères accorde sa bénédiction. Je prends les tangentes.
Derrière les haies anémiques, je rampe, j’agrippe la terre grasse. Elle noircit mes mains noires de nuit. Je m’immobilise, retiens mon souffle, égrène des perles de givre et plonge dans le bain de lumière chaud qui émane des maisons.
Pendant un temps indéterminé, je guette. Je t’attends, je t’observe. Je ne pense pas. Parfois, j’imagine glisser sous tes draps de satin saturés de musc pour que tu goûtes enfin un peu de sauvagerie.
(Tu es là, dehors, ils le savent, je le sais, ils me l’ont dit, je les crois.)
Je passe, de maison en maison, de chemin en chemin, je scrute, j’épie, je vous bois, je vous mange, je vous dévore.
Un hélicoptère vibrionne, le ciel sonde les rues désertes. Je suis une anomalie, je marche, c’est suspect un marcheur, aujourd’hui on roule, on glisse, on filme sans fin la même impasse gardée d’un portail coulissant.
J’évite les patrouilles. On me retrouve dans les tâches d’ombre, les interstices.
Et, au bout de la nuit, au bout de la marche, l’horizon.
Samuel Dixneuf, 05-01-2010
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Liste des autres participants à ces premiers vases communicants de 2011:
Juliette Mezenc http://juliette.mezenc.over-blog.com/ext/http://motmaquis.net/ et Christine Jeanney http://tentatives.eklablog.fr/ce-qu-ils-disent–
Christophe Grossi http://kwakizbak.over-blog.com/ et Michel Brosseau http://www.àchatperché.net/
François Bon http://www.tierslivre.net/ et Laurent Margantin http://www.oeuvresouvertes.net/
Martine Sonnet http://www.martinesonnet.fr/blogwp/ et Anne-Marie Emery http://pourlemeilleuretpourlelire.hautetfort.com/
Anne Savelli http://www.fenetresopenspace.blogspot.com/ et Urbain, trop urbain http://www.urbain-trop-urbain.fr/
Murièle Laborde-Modély http://l-oeil-bande.blogspot.com/ et Jean Prod’hom http://www.lesmarges.net/
Jérémie Szpirglas http://inacheve.net/ et Franck Queyraud http://flaneriequotidienne.wordpress.com/
Kouki Rossi http://koukistories.blogspot.com/ et Jean http://souriredureste.blogspot.com/
Piero Cohen-Hadria http://www.pendantleweekend.net/ et Monsieuye Am Lepiq http://barbotages.blogspot.com/
Marie-Hélène Voyer http://metachroniques.blogspot.com/ et Pierre Ménard http://www.liminaire.fr/
Frédérique Martin http://www.frederiquemartin.fr/ et Francesco Pittau http://maplumesurlacommode.blogspot.com/
Jean-Yves Fick http://jeanyvesfick.wordpress.com/ et Gilles Bertin http://www.lignesdevie.com/
Candice Nguyen http://www.theoneshotmi.com/ et Benoit Vincent http://www.erohee.net/ail
Nolwenn Euzen http://nolwenn.euzen.over-blog.com/ et Joachim Séné http://www.joachimsene.fr/
Isabelle Pariente-Butterlin http://yzabel2046.blogspot.com/ et Xavier Fisselier http://xavierfisselier.wordpress.com/
Christine Leininger http://les-embrasses.blogspot.com/ et Jean-Marc Undriener http://entrenoir.blogspot.com/
Samuel Dixneuf http://samueldixneuf.wordpress.com/ et Philippe Rahmy-Wolff http://kafkatransports.net/
Lambert Savigneux http://aloredelam.com/ et Lambert Savigneux (ben oui) http://regardorion.wordpress.com/
Catherine Désormière http://desormiere.blog.lemonde.fr/ et Dominique Hasselmann http://dh68.wordpress.com/
Christophe Sanchez http://fut-il-ou-versa-t-il.blogspot.com/ et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com/
et
sur twitter et en 9 twits chacune, Claude Favre @angkhistrophon et Maryse Hache @marysehache (elles ont choisi de publier les deux textes chez celle qui a un blog : Maryse Hache http://www.semenoir.typepad.fr/)
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OLIVIER GUÉRY
Pour ce vase communicant de février 2010, kafkaTransports est heureux et fier d’accueillir ce texte d’Olivier Guéry, et de croiser les lignes avec soubresauts.net. Et, épaulant l’échange ponctuel, chance de cet échange, tout ce qui se construit sur internet, grâce à internet, une création littéraire qui conquiert de nouveaux territoires, tandis que les textes expérimentent de nouveaux supports et que l’écriture recombine les formes et trouve du neuf. Lire Olivier Guéry. Elrgir le cercle. kT
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Aujourd’hui son corps lui susurre sa fatigue un peu plus loin ; la lui susurre douleur, s’il faut nommer cette fatigue-là ; en son avancée lente de jours à jours, passant par d’inévitables nuits qui ajoutent à la fatigue encore ; en l’inertie occupée au lancinant creusement du corps, comme architecture à l’expansion par la négation du volume, sans en rien laisser paraître, en fourmilière dont l’aspect extérieur ne sait pas dire ce qui s’y trame sinon qu’elle grimace parfois encore au détour d’une journée trop longue ; des pieds aux mains, sans rien négliger du long trajet des unes aux autres, ni des nombreux détours et variantes qui chaque fois la surprennent, car chaque nouveau territoire de l’espace polymorphe de son corps découvert chaque jour encore, ne l’est qu’au travers de l’indicible qui y ronge une voie nouvelle où crier ; elle ne crie pas, ce serait crier sans cesse, s’épuiser un peu plus à crier. Elle connaît le prix de la fatigue. Et à crier sans cesse, que lui resterait-il pour la nouvelle douleur à venir, le 10 (dix) de l’échelle, « la pire que vous puissiez imaginer » lui dit-on, elle sourit un peu, 10 jusqu’auquel elle n’a jamais vraiment osé pousser le curseur de la réglette en plastique — se laisser cette possibilité du pire — ; docile, elle interroge quand-même la fatigue du moment pour savoir jusqu’où l’imagination pourrait créer de la douleur, sachant le matériel en strates dans ses articulations déformées sur lequel appuyer pour créer ce pire ; elle veille à oublier les événements qu’elle pourrait imaginer, même s’ils ajouteraient sans doute de quoi aller plus loin, en sus de la catégorie dite physique ; et avoir la certitude d’atteindre l’idée de l’inaccessible 10 ; pas plus possible à définir ce jour que le zéro, autre borne de l’échelle, « aucune douleur » lui dit-on, elle sourit un peu à cette idée, pas totalement mécontente d’ignorer cette limite là, ou de s’en être bâtie une autre, que d’autres ne peuvent imaginer que comme maximum ; finit par hausser les épaules, ou tout comme, ne pas trop les épaules aujourd’hui, cette intuition là que ni le curseur ni les schémas ne peuvent dire, n’hausse donc pas mais c’est l’intention qu’elle a, ce qu’elle voudrait qu’on comprenne du soubresaut ; elle sourit, pourtant surprise de cette fatigue-ci, qu’elle n’aurait précisément jamais pu imaginer, dont elle ne peut identifier l’épicentre qui couve sous la morphine sans disparaître jamais, mais que le corps lui susurre ; cette fatigue plus loin, un peu, sans non plus qu’elle puisse jamais dire à quelle échelle raccrocher ce peu, sinon l’espoir peut-être que ce subit ne soit qu’un rien, finalement, comparé à l’immensité de ce que pourrait être (10) ; car à quoi et où trouver voix pour répondre aux regards de blouse qui s’enquièrent ? Fatigue donc se dit-elle, en réponse à la question ; une nouvelle fatigue ce jour, plus loin, une triste, une lasse, une tremblante, de ce tremblement que la vaine colère ne provoque plus, ni ne doit provoquer, car la colère comme les cris ne fatigue que plus encore (elle connaît le prix de la fatigue). Fatigue fini-t-elle alors par soupirer à la blouse, fatigue qu’elle voudrait expliquer nouvelle, car fatigue de la fatigue, de la peur de la fatigue, fatigue du temps passé, du temps supplémentaire nécessaire à tout acte, de la nécessité du plus de temps que, pour l’indispensable quotidien qui ancre encore à l’existence, mais fatigue qui voudrait nier ce quotidien, le vaporiser au feu de la volonté, fatigue. Mais elle abandonne et ne va pas aussi loin en fatigue que ce qu’elle pourrait dire car répond du simple « fatiguée » qu’elle déplie si souvent en paravent d’étourdissantes explications qu’elle ne veut plus s’entendre faire. La demi-heure passée, elle s’en va, claudiquante silhouette volontaire, réclamer à la nuit quelques pans de sommeil et un repos qui ne suffira pas.
Olivier Guéry
les sites/blogs participant à ce vase communicant:
– Aedificavit et Tentatives
– Futiles et graves et Juliette Mezenc
– à chat perché et Hervé Jeanney
– Lieux et Arnaud Maïsetti
– L’employée aux écritures et Hublots
– Le blog à Luc et Enfantissages
– Koukistories et Biffures chroniques
– Soubresauts et kafkaTransports
– Pendant le week-end et Kill that Marquise
– Le Tiers Livre et Fragments, chutes et conséquences
– Scriptopolis et CultEnews
– Liminaire et Litote en tête
– Les lignes du monde et Abadôn
– Pantareï et Éric Dubois
– Les Marges et Paumée
– Lignes de vie et Epamin’
[…] … j’avais conclu ainsi un billet des vases communicants paru sur le blog de Philippe Rahmy : Kafka transports. […]
[…] Je lisais ce livre dont le titre m’avait séduit, attiré : Béton armé sur la table de mon libraire préféré. Je ne connaissais pas le travail de Philippe Rahmy. J’ai commencé à lire dans un café, dans l’agitation d’un café strasbourgeois, je n’ai bientôt plus entendu les bruits autour de moi, Strasbourg était Shanghai… (bon, stop, vous pouvez rire, Strasbourg n’a rien à voir avec Shanghai, c’est plutôt une ville-village qui me convient mieux). Dès le début, j’ai commencé à souligner des phrases (c’est une manie, une mauvaise manie pour le bibliothécaire que je suis), et enfin, des passages entiers (Au diable l’avarice et les avaricieux). Dont celui-ci, page 73 : "la vérité est que le monde s’offre à ceux qui n’attendent rien" Là, paf, j’étais en terrain connu avec cette phrase harpon, phrase-hapax qui vous dit, tiens, ce bouquin-là, il n’est pas courant. Je l’ai lu plusieurs fois et c’était justement cette phrase dont j’avais besoin à cet instant : "La vérité est que le monde s’offre à ceux qui n’attendent rien. Il se livre avec simplicité, juste là, au bord du trottoir, sans le support de la lune ou des violons, sans le support de la littérature, au fond d’une ruelle, et c’est alors tout le banal qui fleurit sur un moment d’asphalte." J’aime bien cela : soudain, ce banal qui se transforme, ce moment exact où vous êtes pleinement attentif aux moindres signes, ce moment que je pourrai qualifier de poétique, si on ne confondait pas trop souvent la poésie avec ces choses rimées en bout de phrase. Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire…. Je ne vais pas en dire plus, et je vous invite à relire le texte de Philippe ici, sur mes modestes flâneries. Bienvenue à toi, Philippe, Pantagruelise-nous encore et merci d’avoir répondu à mon invitation. Mon vase se trouve sur son Kafka transports : Tapages ta tasse… […]
[…] Mon texte, sur kafkaTransports […]