la combine à Huggy
décembre 13, 2010
quand je t’entends, je suis épaté et je me demande où, en moi, cet élan?… où est-ce qu’il s’enracine ?… je ne trouve pas ça en moi, cette lancée du corps sonore, je comprends maintenant pourquoi je suis fasciné, enfin, non, je ne comprends pas, je le vis
il y a que certains peut-être entendent les phrases comme les saints, ceux qu’on dit les fous, les voyants, ceux-là qui voient, ou qui entendent, qui sont habités, ceux-là, ils peuvent y arriver, je les vois, je te vois te lancer, te déployer éventail sonore de chair, éventail de chair et de voix, baleiné de langue
je crois que certains entendent des voix
moi non
je n’entends rien
c’est pour ça que je ne peux me lancer comme ça, je me lance autrement, je me laisse prendre par ce qui vient, en général ça ne casse pas trois pattes à un chien mais je fais avec
mes phrases je ne les entends pas, dans ma tête elle ne font aucun bruit
elles frappent à mort mais pas un son, je les vois, d’accord, je les copie, elles forment des bouts qui ne veulent pas parler car parler c’est se fondre, mes phrases ne veulent pas se fondre, elles sont ces pauvres types prisonniers de leurs appartements, tu vois cet immeuble qui brûle, eh bien, cet immeuble en flammes, c’est le corps, mettons qu’on fasse cette analogie pour ce coup-ci, on oserait en faire une, une image qui vaut ce qu’elle vaut, chacun peut visualiser un immeuble qui brûle avec des gens à l’intérieur qui pètent les fenêtres en balançant une chaise, mettons qu’il s’agisse de ces vieux immeubles en briques avec des échelles, tu vois, comme dans Mannix, ou Kojac, ou Serpico, bon, il y a un paumé qui a foutu le feu à sa piaule en dormant, à cause de sa clope ou d’une bougie, ce que tu voudras de con, et le machin se met à flamber, le matelas en toile rayé taulard lui crame la couenne à ce camé, mais les autres, il y en a des dizaines, des michetons paniqués et tout le barda de putes et de musicos à la noix, on les voit bien qui se tordent au bord de la fenêtre. C’est ça que j’ai en tête. Mes phrases, elles sont comme ces zigotos, elles veulent sauver leur peau, tu vois, elle veulent se faire la malle. On les comprend. Le corps, c’est pas terroche comme véhicule, Horloge, dieu sinistre, effrayant, impassible comme dit le grand Charles, le corps flambe et il n’en finit pas de griller sur pied, chaque seconde le carbonise un peu plus, lui et sa cargaison de phrases qui veulent se sauver. C’est ça qui me vient. Les rats quittent le navire. C’est pour cette raison que mes phrases ne veulent pas être dites, mais écrites, gravées dans l’acier de Carrare de blindé, pas soufflées sur la scène et crever sitôt dites, comme le gars qui se défenestre, mais se laisser écrire au contraire, silencieuses de marbre taillé, de caillou Lascaux pour des millions d’années. Chaque phrase qui me quitte veut son ambulance, surtout pas le pur-sang du poète, un éclair dans la nuit… et adieu Berthe! Moi, la scène, ça me fiche la trouille noire et d’abord le cafard: je les imagine, mes phrases silencieuses, crispées aux dents qui se déchaussent, résistant de toutes leurs forces à la voix qui veut les déloger en plein hiver, comme au Canada où les immeubles brûlent sous la lance gelée des pompiers, je crois que c’est de ça qu’il s’agit
mes phrases je ne veux surtout pas les entendre, écrire seulement et les lire en silence pour l’éternité
ton frangin le désossé aux bons tuyaux
Cher Philippe,
merci pour ce texte très parlant malgré lui
et guten Rutsch by the way
Martin
vielen Dank lieber Martin, à toi aussi un bon Rutsch ins neue Jahr!
Splendide texte, splendide langue.
Chapeau bas.
Merci
on répond au coup de chapeau, face à face, se reconnaître, avancer plus fort