De l’amour

août 4, 2010

Au bout du chemin, tous sont pardonnés. Sauf les misérables que rien ne console.

Imaginez le sein que vous tétiez les yeux fermés, revenez à vos chairs d’avant le baptême, refaites l’effort de vous en extirper, de sortir les narines, les lèvres, les paupières, réapprenez à parler en ne gardant que le nécessaire pour convaincre quelqu’un de prendre votre place, juste un instant, le temps de voir le ciel, le clocher, la colonne des vieux et des enfants qui filent à l’église un lampion à la main, et d’entendre avec eux le sermon qu’on y tient, un sermon de fer pour des cervelles de porcelaine, tirelires scellées sur quelques pièces de monnaie.

Sortez-vous cette idée de la tête. Il n’y a ni pères, ni mères. Ce n’est que soi qu’on tue. Restez ainsi, porte et fenêtres clouées, le ventre creux, maudissant les bruits du village où les mêmes instruments servent pour les naissances et pour les enterrements, les dés pipés qu’on lance, année après année, pour s’échanger les mêmes terres gorgées de sang, la boue grise à force d’être labourée, blanchie par la fiente des corneilles vous observant du coin de l’œil, convoitant les escargots que vous sucez les dents serrées, comme un vinaigre de perles. Alors, peut-être, en viendrez-vous à comprendre, que dis-je, à entrevoir un degré moindre d’abjection. Vous concernant, je ne prononce les mots homme et femme que par courtoisie. Pour ne pas salir les animaux. Quel roi pensez-vous servir ? Je le vois comme je vous vois, comme je peux sentir votre âme, votre âme pourrie derrière vos aveux. Ramassez votre cœur avec votre vie morte dedans, mettez-vous à genoux, là, et implorez celui qui me donne le peu que j’ai, la noirceur sans Dieu, de vous accorer la grâce qu’il me refuse. Implorez le silence. Vous obtiendrez peut-être la consolation d’exister pour quelqu’un qui vous aimera au point d’aimer la fange.
C’est l’amour qui vous a donné la force de faire ce que vous avez fait, qui vous a jeté dans la mêlée, dans la foule innocente, immortelle, stupide comme l’enfant qui vient de naître.

L’aubaine est de durer, dites-vous, mais nous régnons parmi les larves. Puis un papillon nous tue. Un rêve plombé, voilà ce qu’est la vie. S’il parvenait à l’admettre, l’homme se changerait en son contraire. Quelle est votre ombre ? Eh bien, c’est l’espérance. Mais l’amour méprise la foi et les suiveurs.

pseudo-Martin du Bellay, Mémoires du règne de François 1er (1513 – 1524).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_du_Bellay

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